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Felicia Mihali - DANCING QUEEN - roman 2025

Une narration au goût de gin-tonic

                                    article de Gabriela Mocănașu

       Madame Felicia Mihali nous propose son tout nouveau roman publié au Québec chez Hashtag, 2025 – Dancing Queen.

              Quel est l’enjeu de ce roman ?

       La première interrogation qui surgit dans la tête du lecteur, après avoir savouré le tome, suit de près l’avidité qui l’a tenu collé au texte tout au long du décryptage du tissu narratif, et tourne autour du récit lui-même. Qu’est-ce qui l’a plus séduit dans ce roman ? Une fluidité narrative à couper le souffle ? Un ton actanciel qui le faisait tenir le roman tout le temps à la portée de la main ? Cette douceur de la syntaxe féminine du volume ? Quel serait, finalement, l’enjeu de cette démarche romanesque ? Un questionnement digne d’une vraie problématique s’ouvre devant le lecteur pour lui offrir plusieurs pistes de réflexion.

          Le lecteur s’est confronté à tous les plaisirs des ingrédients de l’univers féminin : séduction, mariage, convention des classes sociales, sexe, soumission, désespoir, liberté, univers artistique, frustrations etc. En apparence, ce roman, à voix monocorde, nourrit son univers du vécu d’un seul personnage féminin qui se voit confronté, malgré lui, à donner une nouvelle vie et un nouveau sens aux souvenirs de sa jeunesse. À plus de 50 ans, Sonia se voit obligée de plonger dans son passé afin de pouvoir accomplir une simple tâche administrative.

         L’intrigue du roman éclore dès les premières pages : Sonia est l’héritière d’un appartement à Bucarest et doit faire le voyage aller-retour de Montréal pour finaliser ce devoir administratif. Le lecteur se laisse conduit, étape par étape, dans l’univers de la jeunesse de Sonia, et ce périple lui laisse quelques images emblématiques : une clef et l’histoire des exemplaires de cette clef de l’appartement légué par Marc, son premier mari, le dîner chez Otilia (une autre épouse de Marc), l’atelier de Marc, la rencontre avec Angela (la dernière épouse de Marc), la rencontre de Sonia avec la fille de Marc, le dénouement de la perpétuelle colère de Victor d’il y a à peu près quarante ans, la peur de boire qui que ce soit de la main d’un restaurateur à l’époque de Ceaușescu, l’imposant noyer, le hublot de l’avion et le verre de gin tonic etc. À noter, pour les futurs lecteurs, que la maman de la fille de Marc, Otilia et Angela sont ses trois autres épouses (à part Sonia, qui s’est marié avec lui en seconde compagne).

         Est-ce l’appartement de Victor une métaphore des mondes qui vivent à la fois ensemble et parallèlement, en même temps, dans des conditions différentes, et qui s’ignorent à bon escient les uns les autres ?

                      « Sonia se précipite dans la cuisine qui, elle, trahit véritablement l’ancienneté de cette     

                       vie. L’encombrement de cette pièce est au pôle opposé de la netteté du salon, même   

                       de vieux journaux qui traînent dans un coin et l’odeur de cuisson est imprégnée dans 

                       les murs. »

       La description de l’appartement du voisin bucarestois de Sonia, les souvenirs qui y gisent, offrent au lecteur une clé psychologique de lecture ? Est-ce encore une clef, une piste de lecture assez subtile, qui met le lecteur au défi de se confronter avec tout ce qui encombre sa vision de la vie ?

          Est-ce cette image récurrente du gin-tonic la métaphore du perpétuel mouvement de la vie, le fait que notre existence ne se laisse pas figée dans divers préjugés, ou des appréhensions par défaut, de la pensée ? Le syntagme gin-tonic apparaît neuf fois dans le roman : deux fois en début du roman (pages 12 et 13), ensuite deux fois au milieu du roman (pages 80 et 83), pour culminer à la fin avec d’autres cinq références réunies dans un chapitre baptisé Gin-tonic.  Cette boisson, si féminine, vaut-elle, dans le contexte de la philosophie du roman, un possible rappel à une continuelle danse de la renaissance de l’esprit de Sonia vers autre chose, vers une autre appréhension de la vie et du circuit de la pensée ? Une danse pleine de grâce (il faut le noter !), le verre à la main, parmi les aléas de la vie ? Sonia lui ressemble, c’est tout elle, avec son fin regard capable de percer le moindre revirement de l’esprit. Et ici, on doit le dire, la voix de Sonia et celle du narrateur se confondent, elles ont les mêmes marqueurs stylistiques.

                            « Lorsque la première agente de bord passe avec le chariot de boissons, Sonia choisit un gin-tonic, ce qui est le pire choix dans son état, elle le sait bien. Mais c’est ce qu’elle prend toujours en avion pour la sensation de mollesse, de douceur, et le triste sourire que cette liqueur douce-amère provoque en elle. Cette fois, viendront des larmes aussi. »

       Danse, lecteur ! Danse, lectrice ! C’est la saison du gin-tonic, la danse perpétuelle qui se propage en chaque instant de la vie. Et l’existence n’est autre que mouvement et changement de perspective. Hélas ! Heureusement que ce roman parle de nous toutes, les femmes !

       Est-ce seulement le récit d’un voyage dans le pays d’origine de Sonia, ou bien plus que cela ? Un voyage intérieur vers celle qu’elle fut autre fois, Sonia (le personnage principal du roman) – vers tout cet éventail de questionnements restés sans réponse depuis à peu près quarante ans.

     Ce roman, épicé à l’arôme de cardamome et des réviviscences de mémoires, peut aussi être lu comme une incursion parmi des personnages d’une petite société sans morale, des privilégiés, des personnages qui vivent seulement pour eux-mêmes, et qui prennent soin de ne pas froisser le dictateur – le reste de la société en est un autre monde, un monde que les agréés du système politique totalitaire regardent avec pitié et détachement à la fois. Les marchés de légumes de la ville, les restaurants, les immeubles, les spectacles et les beuveries dessinent plusieurs univers, un pluri-vers sous la même coupole fermée d’une société si multiple sous l’apparence de la pensée unique. Quelle danse adopter pour sa propre existence afin de survivre aux altérités politiques sans les cogner ? La danse du gin-tonic, cet élixir des larmes, peut-être. 

                  « Avec Marc, elle connaissait tous les bistrots underground courus par les artistes, les écrivains, les comédiens. Les heures passées sur une chaise en bois, inconfortable, autour d’une table couverte d’une nappe cirée collante étaient comme un passage dans un fumoir d’où l’on sortait empestant les vapeurs des cigarettes sans filtre qu’on fumait à l’époque. L’eau des vêtements que Sonia lavait dès leur retour à la maison, sans même les déposer sur les cintres, était toujours noire. Ces beuveries représentaient de courtes trêves entre les dissidents et les informateurs de la police secrète, un bref répit de la délation, le temps de partager le bonheur de la table, avec des produits de plus en plus rares dans le commerce socialiste, surtout la viande qui avait presque disparu des étals à partir des années 1980. »

          À la fin du roman, construit en structure cyclique de la mise en abîme, on retrouve les mêmes questionnements du début reformulées d’une manière plus nuancée. Néanmoins, une frustration ressort à chaque pas : la confrontation d’un esprit libre avec les préjugés durs comme le fer des gens qui forment la masse la plus vaste de la société n’aboutit jamais à aucun changement. Ce penchant que de juger sans réfléchir, qui est propre à l’homme enfermé dans ses propres limites, sans jamais tenter de sortir de la caverne, de ses ombres, produit une souffrance inouïe pour la personne qu’il touche avec ses jugements malpropres. Les gens ne se questionnent pas - ils jugent seulement, ils mettent des étiquettes, et en reste, pour eux, la vie est belle. Mais quel malheur génèrent-ils, quel malheur, ces gens communs d’esprit étroit ! Sonia choisit d’être libre, et l’appréhension des autres l’étonne jusqu’à la souffrance :

                              « Sonia s’étonne encore de découvrir que pour tous ceux qui l’ont connue à l’époque, elle entre dans cette catégorie de femmes qu’on ne veut pas à la maison, seulement dans son lit. »

         Le style du récit reste partout chaleureux, et garde le lecteur accroché au texte. Les actants sont introduits au fur et à mesure, délicatement. Toute la structure est pensée pour tenir le lecteur proche du texte.

        Une écriture narrative féminine, d’une fine précision lexicale, nous propose ce roman aux accents du français québécois. Chaque détail de la narration ou de la description trouve naturellement sa place, les mots s’imbriquent dans une syntaxe noble, imposante par son toucher en velours. D’où vient ce fin ressenti dans la narration ? Le délicat toucher de la syntaxe provient surtout de l’utilisation des incidentes, qui sont des précisions qui s’introduisent comme nécessaires dans un récit construit des flash-backs. Il est question ainsi des plans narratifs superposés, dans le même paragraphe – l’un qui surprend l’inédit du présent, un autre qui continue le thème du chapitre (la clé – Marc - les détails sur le savoir-vivre en communisme – Otilia - l’odorat – le goût – Angela – l’avion – la cardamome – le gin tonic etc) : la danse (au féminin !). La minutie des détails devient reposante, et il s’y installe même un plaisir de la minutie – un attribut de la prose féminine qui sait choisir et la circonstance, et le morceau, et l’accessoire à mettre dans la phrase.

      Comme toute entreprise romanesque est construite sur au moins deux piliers – un désir et le langage à adopter – le roman de Felicia Mihali nous invite à réfléchir, par plusieurs angles, sur le désir d’être soi-même, et de trouver les mots qui correspondent à la nature que l’on découvre en nous.  Dansons ! Saltamos igitur !

Commentaires

  • Bonjour,
    Votre article attire la curiosité sur le roman, donne envie de le découvrir. Tant de petits détails qui incitent !
    Une suite d'interrogations sans donner de réponse - ce qui fait de cette analyse une démarche intelligente pour vendre le roman. Inspirant !
    Bonne continuation à vous dans cette perspective.

  • Bonne chance pourl'avenir

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